Moisson

Moisson

 

Et comme nous descendions le fleuve impétueux, entre les falaises boisées de Myrte, nous fûmes accostés par les errants de Mandar, conduits en leur refuge de Styx, où après de multiples palabres d’un commerce de perles et d’ivoire, nous assistâmes au festin de leur maître, Esa le magnifique.

Il y avait là, enturbannées de soie d’Amarante, des filles nuptiales et des éphèbes somptueux, d’androgynes danseurs fous, chamans par leurs cris, leurs contorsions, qu’un abîme sépare de toute définition. Esa nous demanda de nous restaurer parmi ses convives, des Ouabs du désert des scythes, des illuminés de la citadelle Gramont, des vertueux initiés au soleil de Parsis.

Tout en participant à ces agapes, nous écoutions les voix, les une monocordes, les autres stridentes ou basses, conter les périls de leurs voyages à travers les marais de Dyzan, aux frontières des éclipses, et par les dunes de cristal de Saphyr. Toutes enchantaient et encensaient notre hôte qui les avait accueillis avec déférence.

On disait qu’il serait difficile de partir de son fief qui tentait toujours de convaincre les plus nobles comme les plus intelligents, les plus vifs comme les plus instruits, à ses écoles du vivant qui essaimaient sa sphère. Déjà dans le souffle qui s’érigeait, nous étions sollicités pour glorifier ce fief. Il y avait là mesure à réflexion, et nombre d’entre nous, qui du commerce, qui de la guerre de la paix, qui en son savoir, était tenté par cette aventure.

Je décidais, pour moi-même, d’aller à la rencontre de cette vie nouvelle, n’ayant d’attache quelconque, ni de Pongée, ni de Laurasie, mon Peuple, englouti par la course folle des astres, n’étant pour moi plus qu’un objet de prière. Ainsi donc je participais désormais à l’épopée qui ne laissera trace dans l’Histoire multimillénaire, que par ce chant qui est le conte d’Esa le magnifique.

Des cimes de Neptune aux vertiges de l’arctique, guerrier passant, ma communion fut une primaire certitude, voyant des calmes latitudes développées en dithyrambes processions. An de l’aube nouvelle, je marchais loin des soupirs et des larmes, qui des mères, qui des filles, voyant mesure d’une éclaircie soudaine, jusqu’aux remparts de l’Adès.

Un vent formidable poussait nos caravanes et les animaux de traits en subissaient les assauts, tandis que, protégés par des voiles en nombre, nous espérions le jour neuf où le soleil embraserait notre sérail. La course en cet arc fut de cent lunes et plus, et le jour solaire éclaircit cette brume, voyant maîtres d’équipages en tête, chevaliers du talisman, ordre auquel j’appartenais, ouvrir les bras du monde à tout un peuple chamarré, dont les ovations résonnent encore aux sources puisatières.

Là se dressait un monolithe d’airain, érigé au viaduc des âges, portant les insignes de la splendeur d’Esa le magnifique. Permissif du levant, ses décors de marbre enseignaient le long cours des étoiles, des naines guerrières aux géantes rouges ciselées, la gravitation, et bien plus sa manipulation.

Chacun d’entre nous devait en prendre connaissance avant que d’aller, ramures, vers les multiples univers couronnant Esa. Et ses prêtres en semis, vêtus de la toge de lin à l’insigne du tétraèdre, nous éveillèrent à ce chant divin. Il y a là maintes histoires sur l’art de voyager par les temps et les espaces, inséparablement liés mais toutefois volatiles, ici ne fut retenue que leur repliement suivant les notes sacrées des sphères et de leurs horizons.

Je ne regrettais d’avoir rejoint le levant d’Esa, découvrant ses multiples facettes allant les nacres guerrières comme les ressources des sciences, dans l’apothéose des arts, et dans ce secret écrin délibérant le talent de chacun, afin d’ouvrir ce monde à sa perfection. Ce monde, que dis-je, un miracle de mondes aux citadelles en majesté, de l’ivoire, du schiste, de l’obsidienne et du corail les tours crénelées, un vertige architectural se fondant dans des natures, parfois hostiles, dont les somptuosités nous enseignaient l’humilité.

Ce fut, dans la logique de l’apprentissage des mémoires essentielles, des ornements du feu, et de la maîtrise de ses chants, de l’épopée humaine en ses branches et variétés, de leurs empires, que graduellement j’advins cénacle d’un des mondes conquis par Esa. Puis, familiarisé avec la gestion de ce monde tant en économie qu’en politique, il me fût donné la maîtrise de la neuvième flotte du tétraèdre.

En déploiement avec la myriade des vaisseaux de cette flotte, j’allais le monde des univers, découvrant mille parfums, conquérant de la Vie en la Vie et pour la Vie. Visiteur de mondes flamboyants, exquis ou hideux, trouvant ruche du Vivant pour l’agréer à son élévation, combattant la nuit et ses mystères, organisateur du jour et sa lumière, je passais les mille lunes suivantes dans ce préau du macrocosme.

Et que de ne voir, il y avait là les rêves exaltés, les songes épurés, aux floraisons vivaces, demeures solsticiales des âges qui se respectent et s’associent. En foule baignée d’encens et de myrrhe, leurs cieux irisaient de fauves brumes les faunes les plus denses, aux variétés de flores séquentielles, aux arbres aux lichens roux d’eaux limpides qui vous transportent et vous parlent de leur aventure surannée.

Étranges vagues en mémoire, au levant des houles de sulfures par les déserts ocre et spongieux, étranges de même de souffles vivants en formation marchant lentement vers la clairière de la Vie. Et des us et coutumes, tant de civilisations reconnues, que leurs styles se mêlent d’un horizon semblable, celui du destin de la Vie, couronne somptueuse aux variétés infinies se dressant en oriflamme par toutes surfaces des terres rencontrées.

Du cil la clarté de ces mondes, je fus Mentor puis nommé Consul, dire de la volition des Peuples en leur dessein, et devenu familier des rouages de l’Empire, Esa le Magnifique, conscient de mon pouvoir de décision, me fit entrer au cénacle de ses pairs afin d’ouvrir ses mondes aux floralies synergiques, et ne plus laisser mesure à une quelconque tyrannie.

J’allai de nouveau l’Espace et ses méandres aux grands ruisseaux des algues nous précipitant par-delà les temps aux règnes en accord. Là je rencontrais d’eaux vives des guerres de Titans, aux marges frontalières, là où se tressent d’autres empires en voie d’accomplissement, jeunes et dynamiques, ne connaissant encore la symbiose et se figeant uniquement dans l’osmose.

Ce furent-là de graves décisions, des sorts de multiplicité, et bien plus encore des choix terribles pour que survivent des stances des élytres les fulgurations de mondes à venir. La voie était tracée de cette correspondance que seule la dramaturgie peut correspondre, dans l’éclair de la sagesse qui se doit, dans la pesée des sorts par les espèces, loin de la gratuité d’une spontanéité agressive, loin des agitations morbides, encore plus loin des décisions hâtives.

Un apprentissage, s’il en fut, calmant les révoltes, initiant la paix et le partage, la reconnaissance du respect multilatéral, le développement de toutes ressources, un apprentissage où rien ne devait transparaître des émotions les plus vitales.

Ayant pacifié nos frontières adventices, je devais maintenant accorder nos mondes à l’aquilon de la voie sacrale, celle permettant à chacun des Êtres de reconnaître et parfaire leur exfoliation énergétique, de vivre en harmonie et correspondre par les complémentarités naturelles à la solidarité harmonique du un en tout et tout en un.

Les Sages devisaient ce sort depuis des milliards de lunes, les Mages y accédaient, quant aux Guerriers, ils en étaient le fer de lance, et au-dessus comme en dessous, nous étions là, porteur de la rémanence de nos mondes pour délivrer ce message dans le cœur du vivant.

Mesure épithéliale, ce cœur me fut donné après mes périples multiples et variés, qui durèrent ce que durent les roses, tant la tâche était considérable et que le temps disparaissait en ses orbes. La porte des neuf me fut ouverte. Je remplaçais le monarque Drachnien, dont la légende n’est plus à conter, parti vers l’énergétique persévérance. De talents en talents j’en devins le guide ce qui me fit devenir le conseil d’Esa, en sa garde rapprochée.

Et voici dans cet âge avancé, toutes les prouesses que je fis, bâtissant cette famille qui maintenant essaime les étoiles, et dont, toi, ma fille tu hériteras le message, et dont toi, mon fils, tu préserveras le message. Mais voici qu’Esa me mande pour éclairer ces mondes. Nous reprendrons notre conversation plus tard…

© Vincent Thierry