Au septentrion
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- Catégorie : Littérature
Au septentrion
Il y avait là des ramures équinoxiales et des préaux de safran, une ville d'émeraude et de schiste taillée à même une falaise de quartz. Nous regardions, émerveillés par tant de splendeur. Du plus loin nos yeux visitaient des dunes d'alluvions aux couleurs océanes où s'affairaient, en groupe, des tisserands de varechs, des chasseurs de crabes et de palourdes, et aux ciselures ou, planté le riz émergeait, des femmes aux sarongs enturbannées de coiffes aériennes. Tout ce Peuple vaquait à ses occupations, sans la moindre précipitation, comme si le ressac rythmait ses pas. Au large se devisaient des embarcations cristallines, et nous regardions, comme un feu d'artifice les nappes des filets qui s'égayaient de leurs courbes harmonieuses. Plus près, à l'entrée de l'édifice se tenait une garde immobile, comme faisant partie du quartz environnant, veillant à la paix de ce Peuple. Il nous fallait maintenant passer ce guet, nos montures et nos attelages frissonnant sur le chemin aride y menant. Les gens à notre passage restaient souriants, sans la moindre crainte de nos armes de guerre, de nos armures cristallisant le soleil, haut dans le ciel. Nous menions tant bien que mal nos équipages lorsqu'un provincial s'enquérait de nous aider, ce que nous acceptâmes bien volontiers. En un vol d'aigle, grâce à sa dextérité nous parvînmes au guet, et ce ne furent là que palabres habituelles, démonstrations pacifiques, sourires et connivences, notamment par les taels déversés, qui nous permirent de rentrer dans l'onde de Danaé l'éclose. Le miroir de nos âges ne fut plus aiguisé au-devant de sa beauté, une beauté à couper le souffle. Ici, dans un décor à la fois héroïque et bucolique, nous avisions l'une des plus belles nefs de Pongée la mystérieuse. Il y avait là des constructions en écheveaux dont les parterres étaient couverts de floralies merveilleuses, lys et œillets à profusion aux lourds parfums des géraniums s'aventuraient de bleuets et myosotis, et dans la farandole des cours revêtant la texture des pierres de lave dont étaient construites les maisons, on trouvait un lacis de plantes généreuses aux fleurs énigmatiques et opiacées. Un vent léger nettoyait continuellement les ruelles en arceaux qui bouillonnaient d'activité, ici aux frugales harmonies du palais, les poissonniers et les bouchers, les boulangers et les fariniers, dans un mélange baroque, s'affairaient, et entre échoppe, nous voyions les étameurs, les forgerons, les artistes du cuivre et quelque ébéniste à l'art impondérable, tandis qu'alentour grouillait le Peuple affairé par ses marchés, délibérant aux potagers et aux fruitiers les victuailles du jour comme de la nuit. Ainsi dans ce cil marchions-nous, délaissant nos équipages aux chaumes bleuis d'un forgeron loueur, nos pas de chaque rive éveillée s'amenuisant devant la liesse des armuriers aux échoppes malignes. Malignes, car ne se contraignant ici des fétus de paille des épées, les plus belles étant toujours gardées aux râteliers de caveaux qu'il fallait toujours deviser pour que se montrent leurs fers dignes de ce nom. Nous ne restâmes très longtemps dans ces offices, La faim nous invitant aux gargotes et hostelleries dont les frontons, tous, se chamarraient d'une licorne. Nous nous promîmes de visiter la ville le lendemain, tout en festoyant en l’honneur de cette beauté. La nuit fut douce à nos mémoires, nos rêves, comme des écharpes de soleils, délivrant des promesses à nos esprits en sommeil. Le lendemain fut un feu d’artifice, au sol de cette ville ouvragée, aux remparts acclimatés, aux tresses diaphanes des embellies de son château en promontoire, desservi par neuf cents marches qui le gréaient. Nous savions ici la Divine qu’il nous fallait rencontrer, et de marche en marche sous les fenaisons de couleurs qui nous assaillaient nous ne pûmes que contempler, car là-haut, se dressait, Sibylle, l’étonnant mirage qui nous invitait à reconnaître la réalité de ce monde, un ensemble solsticial où gravitaient de diamantaires enlacements dans lesquels nous étions unité ouverte sur le flot, allant les pures ovations de la Vie. Cette vision, dans sa régénérescence fut notre portée, un portique ouvert sur les multiples mondes qui s’embrasaient et que nous devions convenir afin d’affermir notre éternité, nous le pressentions, et dans ces pressentiments savions déjà notre route tracée, écume en pavois, gloire assortie, de batailles enlevées sur la puissance mortelle pour que règne la Vie, dans son tumulte, son abondance, sa nuptiale appartenance à l’Éternité. Et nos voix en essaims s’alimentaient du Verbe que Sibylle enchantait, dans des volutes moirées de marbres altiers, dans cette moisson divine qu’instaure l’équilibre. Revenus à nous, nous sentions en chaque fibre de nos corps l’étoffe merveilleuse de nos énergies qui dans l’homéostasie devenue rayonnaient de couleurs splendides, écrins majestueux irradiant la destinée de nos âmes, qui s’épanchaient, là, dans un fleuve impartial, guidées vers l’Océan des Univers qui nous attendaient. Nous savions désormais ce qui nous attendait, dans la détermination et la volonté, au-delà des esquisses et des alacrités, par la rencontre de l’immanence et de la transcendance, la défense de la Vie en tout univers, quel qu’il soit, où qu’il soit, en la Vie et par la Vie, notre honneur et notre Chant. Nous repartîmes de cette ville au soir couchant, munis de ces glaives signifiant notre loyauté et notre devoir, nantis de ce calme olympien nous voyant passer au travers des événements sans en être atteints, diamant foudre à la conquête de ces Univers sous le joug de l’ombre de la mort et de ses errances. Ainsi, mais cela est une autre histoire que je vous conterais un jour…
© Vincent Thierry