La pluie chantait

La pluie chantait

 

La pluie chantait au balcon des hirondelles, et dans la mousse chenue l’oisillon dormait d’un sommeil réparateur. Le calme serein, précédent l’aube, en majesté, imprégnait le lieu. Une Île, de roche granitée, une Île, de forêt vierge élancée, une Île traversée d’un ru dont les eaux douces étaient parfumées, une Île, éclose des broderies de la terre aux mers ancestrales. Ici, nul pavillon, encore moins de hiérarchie, les seuls ilotes navigant étant les rescapés d’un naufrage ancien.

Perdu dans le souvenir des trois couples de vieillards qui aujourd’hui ne bougeaient guère, passant leur temps à regarder la danse des flots, et des hommes en pêche, et des femmes en marche, et leurs petits enfants s’égayant dans les vagues. La sagesse était désormais leur demeure, et ils en tiraient leur autorité sur leur petit monde de vivants, couronné dans ce lieu qui leur avait permis de survivre puis de vivre.

Il y a de cela plus de cinquante ans, ils étaient jeunes, et avaient su sauver à force de nage la bibliothèque du bord de cette nef qui, croyaient-ils, allait les mener à Singapour, et tous ustensiles leur permettant d’aménager leur espace vital, hache, scie, outils divers, cordes, poudre, et quelques armes encore utilisables.

Et les deux femmes survivantes, qui deviendraient leurs compagnes, qui de voilages, d’ustensiles de cuisine, de semences pour les labours, de sel en fût, et les porcelets survivants ainsi que trois moutons et une brebis, tentant de fuir sans raison.

Les membres d’équipage étaient morts, noyés, le capitaine avait disparu. Bien avant que ne s’échoue ce simple navire, chacun réunit les affaires des uns et des autres, sextant, compas, carte, boussole, et ce tabac à pipe si apprécié, puis ils vidèrent les cales, hâlant, qui des tonnelets de rhum, qui des morceaux de saindoux, qui ces épices qui devaient servir de monnaie d’échange.

L’accalmie étrange qui suivit la tempête, leur permettant ces actes insolites, eux qui avaient échappé de multiple fois à la mort, ne prenant qu’un moindre repos, comme en prémonition qui fut de courte durée. La colère des cieux hurla de plus belle, déversant une pluie diluvienne, emportant la nef vers d’autres rivages, laissant seul cet échantillon de l’Humanité sur ce vierge sol.

Ils ne devaient revoir aucun autre Être Humain en provenance des continents, là-bas, perdus sous la brume du matin, le soleil de feu au zénith, le crépuscule du soir couvert de nuages, la pluie d’étoile nocturne. Et en ce jour sans équivoque, ils surent qu’ils devaient s’adapter pour survivre. Un monde neuf s’éclairait à leurs pieds, qu’ils devaient reconnaître, embraser et éveiller à leurs besoins…

© Vincent Thierry